Introduction - Kanye West / Ye_01
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(*) Je ne retrouve plus l’interview où Ye l’explique. Apparemment Ty Dolla $ign l’aurait soutenu en venant à sa « party » alors que l’univers entier était contre lui. Une profonde amitié.
« Je ne l’aime plus que quand j’écoute sa musique. »
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Par où commencer ? Kanye a changé ma vie il y a plus de dix ans avec son album Yeezus. Avant 2013 certaines œuvres et artistes m’avaient déjà marqué, mais Yeezus c'était autre chose. Kanye a eu une place si importante dans ma vie que sa présence quotidienne était presque comparable à celle d’un meilleur ami. Mais « ami » n’est pas le bon mot, je préfère « partenaire ».
En dix ans on peut changer, les albums que Kanye a sorti depuis en témoignent. Moi aussi j’ai changé et d’autres partenaires ont débarqué dans ma vie. Quelques-unes d’entre elles égalent l’importance de Kanye et chacune aura ses textes dans le blog. Le mieux reste quand même de commencer par lui. Il m'arrive d’ailleurs de dire « Je suis né le jour où Yeezus est sorti. » ou « J’ai été élevé à l’architecture de Yeezus. ». Dans cette série de textes, j‘essaierai de dire comment Ye a évolué dans sa manière de raconter son histoire personnelle, et comment il a réussi, avec son album Donda, à faire plus de place aux autres. Ce qui me permettra aussi de dire pourquoi il est l’un des partenaires principaux de la Fresque de Tripoli.
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On change en dix ans et pas toujours pour le mieux. C’est le cas de Ye qui est devenu véritablement détestable. Ça n’a pas toujours été le cas. Plus tard, vous comprendrez peut-être la profondeur de la blessure que je ressens.
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Après une dizaine d’années de relations intenses avec « l’art » et ses protagonistes, j’ai dans mon palmarès (« ze most inefluenchiolzes ») : Kanye, Louis-Ferdinand Céline, Stanley Kubrick, J. K. Rowling, Tomi Ungerer et Hayao Miyazaki. Trois sur six ont un beau menu de dégueulasseries détestables et un quatrième a fait des erreurs que je lui pardonne (Miyazaki).
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Au fil des années, le truc du « faut-il séparer l'œuvre de l’artiste », j’ai eu plein d’occasions de le vivre et d’y réfléchir. Je dois écrire là-dessus car une réponse à deux choix (oui ou non) ne convient pas.
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J’ai une attirance pour les parcours de « personnages sombres ». Un de mes favoris dans Harry Potter c’est Severus Snape. Ce personnage est un chef-d’œuvre. Un sommet de l’art romanesque.
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L’histoire de Kanye est pavée de réussites admirables autant que d'erreurs et de conneries. Pour les erreurs je l’ai défendu pendant de nombreuses batailles, pour la simple raison qu’il était défendable. Il ne fallait pas chercher très loin pour comprendre qu’il n’était pas le monstre habituellement décrit. Il suffisait de l’écouter et d’avoir la volonté de comprendre les mots d’un homme qui a du mal à communiquer ses idées. Des idées la plupart du temps bonnes et pas conventionnelles. Son honnêteté et le courage de ne rien cacher de sa personnalité (le meilleur comme le pire), était, est toujours, une bouffée d’oxygène. Particulièrement dans des contextes très médiatisés où les comportements humains préfabriqués sont la norme. Il était défendable parce qu’on le voyait changer, parfois se repentir, vouloir devenir meilleur.
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Il est très facile de détester Kanye ou de l’adorer aveuglément. Avoir une image nette de ce qu’il est, n'est pas non plus très compliqué. Il faut être prêt à faire quelques efforts et à écouter des heures de musique. C’est étonnant d’ailleurs ; l’écart qu’il y a entre les images floues qui se sont faites de Kanye au fil du temps, et la clarté parfaite des images que sa musique donne de lui : comme si tous les traits de sa personnalité étaient à nu.
On LE voit clairement dans ses grands chefs-d’œuvre innovants (Yeezus, The Life of Pablo, Donda). Ils sont très intelligents, nuancés, vivants. La musique le dépasse, nous dépasse. On vit des émotions souvent contradictoires, déstabilisantes. Un morceau on chante et rap, près à conquérir le monde, le suivant on pleure, écoutant la souffrance incarnée en autotune. Deux morceaux plus loin on a envie de le frapper pour sa connerie, et celui d’après on éclate de rire, frappé par une de ses punchlines et son génie humoristique.
Ses albums médiocres (ye, JESUS IS KING, Donda 2) sont tout aussi transparents, mais avec rien à l’intérieur (ou presque). Il se répète et passe trop de temps devant le miroir, oubliant le reste. Le dernier en date, Vultures 1, qui n'est pas un album solo mais collaboratif, en est l’exemple parfait.
Vultures 1
Vultures 1 sent le réchauffé au micro-onde du début à la fin. Est-il la première daube de sa discographie ? Ce n’est pas le cas de ye, JESUS IS KING et Donda 2 dans lesquels on trouve quelques trucs intéressants.
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C’est son troisième album collaboratif, le premier était Watch the Throne avec Jay-Z (2011), le second KIDS SEE GHOSTS avec Kid Cudi (2018). Pour Vultures 1, « collaboratif » est un grand mot car on se demande ce qu’a fait le « collaborateur ». Il a si peu de présence que j’oublie d’ailleurs de le mentionner, c’est Ty Dolla $ign.
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Je me suis posé la question : pourquoi Ty Dolla $ign ? Jay-Z on comprend. Ils avaient une histoire et d'excellentes musiques ensemble. Watch the Throne n’a pas changé la face du hip-hop mais il est bon. Il ne faut pas attendre plus d’une collaboration avec deux chefs aux égos aussi énormes… Cette paire fonctionne mieux quand l’un des deux dirige : Kanye était un très bon collaborateur au service de Jay-Z (01, 02). Même chose pour Jay-Z, monstrueusement bon sous la direction de Kanye (01, 02).
KIDS SEE GHOSTS est un album collaboratif réussi. On sent que Cudi et Kanye se connaissent bien. Ils sont complémentaires et ont l’espace pour expérimenter. Kanye, modeste, semble vouloir laisser son ami s’étendre. Il y a des choses très intéressantes. Le tout a une couleur assez unique.
Maintenant, Ty Dolla $ign. Étrange choix (*). Je remarque que malgré un nombre important d'apparitions de Ty Dolla $ign sur des morceaux de Kanye, il y en a finalement que deux marquantes : le chef-d’œuvre Real Friends et les magnifiques voix de Freeee (Ghost Town, Pt. 2). Je remarque ensuite que, contrairement à Jay-Z et Kid Cudi, Ty Dolla $ign, de façon générale, n’est pas un très bon artiste. Un tour du côté de sa discographie suffit à le convaincre. Si Ye est connu pour faire sortir le meilleur des autres, ça ne suffit pas sur la totalité d’un projet.
Honnêtement, je ne sais pas quoi dire sur la musique de ce premier volume, « réchauffé au micro-onde » résume bien. « He’s not focus ». Lui-même n’a rien à dire. Pourtant il s’en passe des choses… Sa musique a rarement était aussi peu fine, lourde, bourrin pour pas grand chose. Il y a des morceaux meilleurs que d'autres, mais c’est inégal dans la médiocrité. Ty Dolla $ign est plat comme une planche à pain et creux comme les autres invités. Je l’imagine comme un premier ministre fraîchement élu, essayant d'apparaître dans le cadre des caméras, derrière les épaules du président. Ye a l’air de faire cette musique sans regarder à côté de lui. Il ne reste plus qu’un petit miroir devant ses yeux. Un miroir en sale état qui ne reflète rien de très beau.
Mise à jour (19/03/24)
Dès l’introduction j’en fais TROP. Comme me l’a fait remarquer mon ami au prénom floral, je descend un peu trop Ty Dolla $ign ; il n’est pas si plat. C’est triste à dire mais Vultures 1 est peut-être son meilleur projet ; écoutez ses autres albums collaboratifs pour vous en rendre compte. Par contre pour Ye, Vultures 1 reste une daube ; je ne le retire pas. Dans cette série de texte je jugerai avec la même exigence toute sa musique.
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Que peut-on attendre de quelqu’un qui admire et a pour copain Elon Musk ? Déconnecté de la réalité. Milliardaire un jour, milliardaire toujours.
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Habituellement, Kanye a le génie de s’appuyer sur ses expériences personnelles pour exprimer les complexités de la vie. Quand il dit « je », c’est un « je » ouvert, pas si égocentrique que ça. J’y reviendrai en parlant de ses méthodes de travail qui sont tout sauf égocentriques.
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Il a toujours su (inconsciemment ?) mettre en forme ses propres contradictions. Particulièrement dans sa musique. Ces derniers temps j’ai plutôt l’impression qu’il se fait bouffer par ses contradictions.
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Tant d’intelligence gâchée ! On peut imaginer l’influence qu’un milieu malsain a sur une personne. Il n’est pas le premier. On ajoute les insultes, le traitement des médias à son égard, ça n’aide pas. Mais il reste un adulte qui fait des choix, et la bipolarité n’excuse pas tout. Il pourrait choisir de ne pas chercher autant de pouvoir par exemple. Les artistes font de très mauvais leaders.
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Ye sur Instagram : « EVERYONE SAW VULTURES 1 GET TAKEN OFF OF PLATFORMS TO LIMIT OUR FIRST WEEK NUMBERS
THIS REMINDS ME OF THE MISTREATMENT OF MY PEOPLE BECAUSE OF THE COLOR OF OUR SKIN » Il faut l’oser cet argument.
Commentaire de Sarah sur WhatsApp : « He is not a black worker, he is not a beginner artist for example whose influence and contacts are limited, he cannot use the black card when he is a friend with elon when he is shy from criticizing apartheid when he is friend with trump »
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Il se plaint d’être banni d'hôtels, viré d'entreprises et interdit de manger dans certains restaurants. Pauvre chou. C’est le minimum qu’il mérite. Il ne grandit pas et continue à se plaindre. Il y a dix ans le combat était magnifique et justifié. Il est désormais, venant de lui, ridicule. Aujourd’hui il a réussi et peut faire tout ce qu’il veut, apparemment sans graves conséquences. Il pourrait soutenir des racistes (déjà fait), violer sa femme, rien n’entravera la diffusion de son travail.
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Je pense à Walter White qui répète sans arrêt « Je fais ça pour ma famille ! ». Il a mis combien de temps à avouer qu’il ne le faisait que pour lui ?
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Je suis triste en revoyant la superbe interview de Mouloud Achour. En particulier la fin, lucide et magnifique. On est passé de ça à, sept plus tard une interview « concept » où Ye décide, lui tout seul, comme un roi devant ses sujets, de la durée de l’interview à la seconde près. Pratique pour ne laisser aucun contre-argument aux idioties qu’il sort.
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Pourquoi sa foi chrétienne, si belle, vivante et intéressante dans sa musique, est, en dehors de l'art, si conservatrice ?
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Je pense à ces chrétiens qui justifient leur antisémitisme par leur amour du Christ. Étrange logique.
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Il les collectionne maintenant. Trump, le conspirationnisme, l’antisémistime (lié au conspirationnisme), de plus en plus misogyne aussi. C’est dommage car là-dessus, on le voyait changer. Je me souviens y’a quelques années dire « bientôt il sera féministe ! ». Raté. C’est d’autant plus frustrant que le monde du hip-hop en aurait besoin. Je dois en parler plus longuement, sa relation aux femmes est centrale dans son travail.
Sarah : « I think you need to add the avoidance of taking a position from a genocide » en référence à.
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J’ai commencé la biographie sur Kubrick (Kolker, Abrams), page 6 : « Kubrick always denied interest in contemporary politics, but politics writ large was always on his mind. He brushed against realpolitik in the making of Spartacus and faced it squarely in Dr. Strangelove, but otherwise, his political interests lay in the effects of power and class: hence his fascination with Napoleon and his examination of class in warfare in Paths of Glory, state power in A Clockwork Orange, domestic politics in The Shining, and class and sexual politics in Eyes Wide Shut. “Never, ever go near power,” he told Christiane, his wife and partner of over forty years. “Don't become friends with anyone who has real power. It's dangerous”. But Kubrick himself had a great deal of power as a film-maker whose work dealt with questions of power and the damage it causes. »
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Ye ressemble de plus en plus à un personnage de Shakespeare ou Gilligan. Autodestruction en cours. Je lui souhaite de tout mon cœur d’aller mieux. Comme artiste, il lui reste pas mal de chemin à faire. On aura, aucun doute, d’autres grands chefs-d’œuvre. À un rythme moins régulier probablement. Mais je sais qu’il a des voix à sortir de ses entrailles, avec lesquelles il repoussera toujours plus loin les limites du hip-hop, avec lesquelles il réussira à raconter son histoire et sa transformation. Avec le plus de lumières, si possible…
23 - 26.02.24 Paris