Dr. Strangelove - Stanley Kubrick_03

  • (*) Dans les œuvres-partenaires de la Fresque j’ai écrit à propos d’Harry Potter : « Rowling ne se contente pas d’écrire sur des thématiques. Elle écrit une vie, dans laquelle on trouve une infinité de thématiques entremêlées. » Stanley n’a pas encore atteint ce niveau. Il en semble loin…

    (**) À nuancer car tout ce truc de « découvrir son film », d’improvisations, il le mettait déjà en pratique avant 2001. (Alexander Walker compare Peter Sellers et Stanley à des musiciens de jazz improvisant sur le tournage, car la plupart des performances de Sellers n’étaient pas scriptés (source : Inside Dr. Strangelove, 15m30s).) Seulement, ça apparaît très peu dans la forme des films. J’en aperçois par-ci par-là des signes, mais c’est timide. Et puis, je les vois probablement parce que je connais très bien les films suivants où ces improvisations atteindront des sommets…

    (***) « Stanley créait un environnement qui lui permettait de trouver ses films, de découvrir ce qu'étaient ses films ». Matthew Modine, Feelin’ Film episode 95.1: Full Metal Jacket Diary with Matthew Modine & Adam Rackoff, 23/02/19

    Variations : « Kubrick créait souvent un espace où les gens pouvaient exprimer leurs pulsions créatives. Il s’asseyait, et ne donnait pas beaucoup de feedback à ses acteurs, en attendant que quelque chose se passe. Et comme il multipliait les prises, les nuances et les variations du script sortaient comme par magie devant la caméra. »

    « Je pense que Kubrick créait un environnement dans lequel les acteurs avaient la liberté de passer par toute la gamme des interprétations, pour qu’ils baissent la garde sans le savoir, qu’ils se détendent et qu’ils finissent par donner le moment magique qu’il recherchait. Pour avoir plusieurs possibilités de s’appuyer sur différentes prises et impressions il y avait alors une palette, pas infinie mais plus large à utiliser pour que la magie du montage opère. » Dr. Strangelove, The Criterion Collection Featurettes, Interview - Mick Broderick

    (****) « Stanley créait des liens [avec des gens] juste pour apprendre. » (Joe Dunton). « Un des points positifs avec Stanley, c’est qu’on travaillait avec lui, pas pour lui. On travaillait étroitement derrière la caméra avec lui. » (Kelvin Pike). Dr. Strangelove, The Criterion Collection Featurettes, Interview - Joe Dunton and Kelvin Pike

    Écrire sur :

    Comment Stanley contrôlait son image. Bien que les journalistes soient les principaux criminels (?), Kubrick est aussi l’acteur de la manière dont on l’a (mal) décrit (?).

Sarah a beaucoup aimé Dr. Strangelove (1964).

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Le style humoristique a vieilli malgré ce que les vieux fans en diront. Stanley maîtrisera plus tard parfaitement l’art du sourire et des éclats de rire, paradoxalement dans ses films les moins comiques. 

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Problèmes de rythmes, en particulier dans les scènes à l’intérieur de l’avion. Musique militaire mal utilisée. Trop similaire à celle de Paths of Glory.

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C’est un film avec BEAUCOUP de dialogues. Étonnant que ce soit aussi peu ennuyeux.

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Qu’est-ce qu’il a amélioré depuis les précédents films ? Comme l’a fait justement remarquer Sarah : les dialogues. C’est bien écrit. Les scènes de la « war room » et celles entre Ripper et Mandrake sont parmi celles que Stanley a faites de mieux et de plus complet pour l’instant. Dialogues, jeu d'acteur, montage, lumière, cadrage, intelligence, humour, noirceur. Je ne m'étends pas sur l’inventivité visuelle de ces scènes. Plus tard, je devrai en détailler les structures. C’est encore des « scènes de théâtre » typiques. Mais je crois qu’ici, Stanley est en train de faire apparaître une fissure dans les liens profonds qu’a le cinéma avec le théâtre. Petit à petit, pas après pas.

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Ça reste un film très limité au thème qu’il aborde. L’histoire ne déborde pas sur la vie (*). C’est d’ailleurs la conclusion que je retiens de ses films avant 2001: A Space Odyssey (1968) : chacun à une couleur, une direction, et en reste là. Il n’y a pas de film-monde où Stanley compose avec une grande multitude de couleurs et d’instruments. Il est bon chef d’orchestre mais sans prendre de véritables risques sur la musique qu’il dirige. J’ai le sentiment qu’il n’est pas complètement emporté par l’histoire. Dans les films suivants, il y a toujours quelque chose qui le surpasse LUI.

Je crois que c’est une erreur de faire de Stanley « l’homme qui contrôlait tout ». À l'évidence, il ne contrôle pas vraiment les histoires. Il est pris par les histoires. Les personnages le surprennent autant que nous. J’en reparlerai de ça.

Je pourrais proposer dans ces notes une manière différente de regarder Kubrick. Au lieu de dire : à partir de 2001, Kubrick a le contrôle sur tous les aspects des films et, grâce à ce contexte favorable, grâce à son génie, il a pu faire les chefs-d’œuvre qu’on connaît. On pourrait dire plutôt : à partir de 2001 (**), grâce au contexte favorable, grâce à sa monstrueuse intelligence à agencer les gens ensemble, Stanley a appris à apprendre des histoires. Il a appris à ne pas « simplement suivre un scénario », à ne pas figer la direction des histoires. Il a appris à découvrir son film (***) avec les personnages, avec les intrigues et avec ses collaborateurs et collaboratrices. Il a appris à faire de la place aux autres (****). 

Dans Dr. Strangelove, il reste encore sage avec le cinéma. Je parle de la forme. C’est pas compliqué de trouver des innovateurs à cette époque. S’il en fait partie (?), il est loin du podium. Qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’en un film, en quatre années, il passe au niveau de génie qu’on connaît ? Est-ce que c’est simplement une question de contexte ? De financement ? Ou alors est-ce qu’il est tombé sur « la bonne histoire » qui allait « lui permettre de » ? Ou alors est-ce lui, qui s’est décidé à sortir des rangs ? 

Peut-être que je me trompe complètement en parlant du bon élève premier de classe (01). J’ai plus du tout en tête comment était Stanley à cette époque. Qu’est-ce qui a changé en lui entre ces deux films ? L’écart est tellement immense… J’ai hâte de lire le livre de Kolker et Abrams. Il manquait une bonne biographie sur Stanley.

24.01.24 Izmir

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